L’Amicale des Anciens Elèves du Collège Saint-Stanislas vient de perdre une des personnalités les plus remarquables que cet établissement ait formé et l’un de ceux qui lui étaient le plus attachés. Il y était entré en Octobre 1919 en classe de 11e, et il ne le quitta qu’avec le Baccalauréat. C’est dire que c’est ce collège qui l’a entièrement formé. La personnalité éminente de Roger LANDRY et la carrière administrative hors du commun qu’il a effectuée doivent être présentées comme elles le méritent, tant elles sont, l’une et l’autre, exemplaires ; et il serait impardonnable que la mémoire n’en soit pas conservée. C’est à la rentrée d’Octobre 1926 que nous nous sommes rencontrés pour la première fois, en classe de 4e, sous la conduite de l’abbé Plantiveau. Du fait que Roger LANDRY était externe et moi pensionnaire, il fut pour moi un camarade comme les autres, et pas encore un ami. De fait, il ne le sera que beaucoup plus tard. Mais nous nous sommes suivis de classe en classe, avec les mêmes professeurs, les mêmes condisciples et les mêmes souvenirs. Pourtant Roger LANDRY fut un camarade que l’on ne pouvait pas ne pas remarquer par certains côtés de sa personnalité. Il était mince, quelque peu élégant, une touffe de cheveux noirs apparemment, mais apparemment seulement, un peu en bataille et des vêtements toujours correctement boutonnés. Il n’y avait dans sa mise rien de négligé, encore moins de débraillé ; mais rien non plus de prétentieux, même pas de fantaisiste. Il était simplement et toujours correct. Cependant, il y avait chez lui quelque chose que l’on ne pouvait pas voir, mais que l’on sentait et qui s’était développé au fil des années : c’était une certaine distinction, nullement recherchée, mais naturelle ; quelque chose qui le situait, tout naturellement aussi, un peu au-dessus des autres. Et cela était encore plus sensible quand il parlait. Dans son langage qui était très simple, très courant, on pouvait remarquer qu’il n’y avait jamais rien de vulgaire. Car il avait horreur de la vulgarité. C’était quelqu’un de « bien élevé ». Certes, il n’était pas de ceux qui s’offusquent de quelque plaisanterie grivoise ; mais il y avait chez lui manière de la dire, car il ne manquait pas non plus de finesse. Par ailleurs, il était gai et plein d’esprit. Aussi on ne s’étonnera pas de l’avoir vu organiser un carnaval fort réussi dans « la cour des grands », ou participer à un chahut, parodiant le général Boulanger, en cours d’Histoire. Au plan scolaire, s’il n’était pas « le premier de la classe » il était dans le bon peloton, se distinguant en particulier dans les Lettres. Un jour, l’abbé Baufine, professeur de Première, fit l’éloge de sa dissertation, ayant parfaitement pénétré le texte à expliquer. Car Roger LANDRY était intelligent et travailleur, assimilant et retenant tout. Ayant l’esprit vif et comprenant à demi mot, on sentait bien qu’il réussirait dans la vie. Ayant tout retenu et assimilé de ce que l’on lui avait appris, étant doté en outre de curiosité d’esprit, il acquit une importante culture générale - laquelle ne fit que s’accroître à mesure de ses différentes affectations administratives. Cela ne fut pas étranger à sa réussite. Le Baccalauréat obtenu, c’est vers la Faculté de Droit de Poitiers qu’il se dirigea où il obtint sans difficulté sa licence. Comme beaucoup d’autres, il prêta serment et devint Avocat stagiaire. Même si le temps où il appartint au Barreau ne fut pas de longue durée, il lui fut bénéfique sur deux plans différents : d’une part cela l’ouvrit aux difficultés courantes de la vie, et d’autre part cela l’habitua à peser le pour et le contre que présente toute difficulté, autrement dit l’exerça à la dialectique à laquelle il eut recours ultérieurement durant sa vie professionnelle. Au plan militaire, son sursit (du fait qu’il était étudiant) ne pouvant être prolongé, il avait à accomplir la durée légale de son ser- - 8 - HierADemainNumero131.qxd 4/02/10 21:20 Page 8 vice. Aimant la discipline et sachant prévoir l’avenir, il avait fait la Préparation Militaire Supérieure (ou P.M.S.). Y ayant pris un grand plaisir et, montant par surcroît parfaitement à cheval, il n’eut aucune peine à sortir sous-lieutenant de la durée légale de son Service. Du fait que, par tempérament, il aimait la rectitude et qu’il était passionné pour tout ce qui faisait ou contribuait à la grandeur de la France, il eut parfaitement réussi dans l’Armée s’il s’était tourné de ce côté-là. D’ailleurs, revenu à la vie civile, il ne cessa de suivre les cours d’officier de réserve, ce qui lui valut de gravir les grades de lieutenant, de capitaine, de commandant et de lieutenant-colonel, ce qui n’est guère courant dans le cadre de l’Armée de Réserve. Grand travailleur dans ce domaine comme dans les autres, il suivit même les cours d’officier d’Etat-Major dont il fut diplômé.
 Venant juste d’achever sa durée légale, c’est alors qu’il fonda son foyer. C’était le début d’une union exceptionnelle, sans nuage et devant durer 72 années. De cette union naîtront quatre enfants. Comment ne pas saluer tout spécialement la longévité et le bonheur d’une telle union ? Et comment ne pas présenter à Madame LANDRY nos respectueuses félicitations pour une telle union, en même temps que notre profonde sympathie pour la disparition si rapide de son époux ? Ayant appris que s’ouvrait un concours administratif de dix emplois de Rédacteur stagiaire dans l’administration centrale du Protectorat du Maroc, Roger LANDRY tenta sa chance. Il fut reçu ; et ce fut le début d’une remarquable ascension. Les époux LANDRY s’installèrent donc en 1937 au Maroc. Mais la déclaration de guerre de 1939 l’obligea à quitter les bureaux du Protectorat pour revêtir l’uniforme militaire. Etant affecté à un régiment de Zouaves, il resta donc au Maroc où, comme partout ailleurs, il ne se passa rien. Après la défaite de 1940, il fut démobilisé et il rejoignit le Secrétariat Général du Protectorat où le Directeur du Personnel 1’affecta, compte tenu de sa compétence juridique, aux Etudes Législatives. Ce poste l’amena à rencontrer ou à travailler avec de hauts fonctionnaires de services très divers. Etant immédiatement apprécié et ses compétences étant vite reconnues, il fut alors promu à des fonctions de plus en plus importantes tout en continuant, de son côté, à préparer son Doctorat en Droit. C’est là que l’on peut mesurer combien il était travailleur. Quand il jugea sa préparation suffisante, il demanda et obtint un congé de 15 jours pour venir passer une épreuve à la Faculté de Droit de Poitiers. Survint alors un événement imprévu qui changea ses plans : le débarquement des Américains en Afrique du Nord. Il fut alors dans l’impossibilité de revenir au Maroc et il se mit à la disposition du gouvernement en France. On le nomma d’abord Chef de Cabinet de l’Intendant de Police de Limoges, puis Secrétaire Général du Préfet de Guéret, ce qui lui donnait le rang de Sous- Préfet. Par sa prudence et son doigté, il évita tout drame qui, à tout instant, pouvait se produire et il fut un conseil avisé du Préfet luimême. A la Libération, presque tous les titulaires de postes importants furent remplacés. Il prit donc contact avec l’Office du Maroc, Rue des Pyramides à Paris. On le chargea d’abord du rapatriement de marocains bloqués depuis des années en France. Rôle particulièrement difficile, étant donné le nombre de personnes concernées et un manque notoire de moyens de transport aériens ou maritimes. Il dut alors faire preuve d’impartialité en même temps que d’humanité, ce qui était parfois contradictoire. De même qu’il dut faire preuve d’intégrité, certains cherchant à le soudoyer. La moralité à laquelle il avait été formé à Saint-Stanislas lui fut d’un grand secours. Après avoir résolu également le problème de la construction de divers hôtels au Maroc, en vue de la reprise du Tourisme, il devient le représentant de l’Office Marocain du Tourisme à Paris. Il est alors en relation directe avec les plus hautes personnalités ; Conseillers d’Etat, Préfets, Directeurs de Ministères, Généraux (entre autres le futur maréchal JUIN), Ambassadeurs etc. Représentant son chef hiérarchique il est envoyé en mission ou en représentation dans le monde entier : de l’Europe Centrale on l’envoie en Inde, des Etats-Unis on l’envoie en Polynésie, du Caire on l’envoie au Népal, etc. Ses compétences, sa conscience professionnelle, sa distinction, son savoir-faire font de Roger LANDRY un haut fonctionnaire particulièrement précieux et apprécié.
 Après l’indépendance du Maroc, il est nommé Directeur Général de la SITO (Société Immobilière et Touristique d’Outre- Mer), Société d’Etat créée en décembre 1956 qui a son siège boulevard Saint-Germain à Paris et dont le domaine de compétences s’étendait sur l’ensemble des départements d’outre-mer, la Réunion, la Guyane et les Antilles (Guadeloupe et Martinique), et également sur la plupart des territoires d’outre-mer, les Comores (Mayotte), Saint-Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna et la Polynésie française. Dans le courant de l’année 1966, il devient le Secrétaire Général de l’U.D.E.T.A. (l’Union pour le Développement du Tourisme en Afrique). Cela lui permettait de dire qu’il estimait en toute vérité avoir fait au moins deux fois le tour du monde. Car il avait certainement tenu à visiter, compte tenu de sa grande conscience professionnelle, tout ce dont il avait reçu la charge. Rien d’étonnant à ce qu’il soit promu dès la fin de l’année 1967 à la « Mission Interministérielle pour l’aménagement du littoral Languedoc-Roussillon », puis à celle de 1’Aquitaine, qu’il soit titulaire d’une dizaine de décorations (dont celle d’Officier de la Légion d’Honneur). Et comment être surpris qu’il soit présenté personnellement au Sultan du Maroc lui-même, au Président du Tchad, - 11 - En vacances dans son Poitou natal en 1996. HierADemainNumero131.qxd 4/02/10 21:20 Page 11 au Président de l’Union Indienne, au Shah d’Iran, qu’il soit l’invité du Nonce Apostolique qui était alors Mgr Roncalli (le futur pape Jean XXIII), qu’il soit présenté à l’Impératrice d’Iran Farah Diba, qu’il rencontre par deux fois le Général de Gaulle et qu’il se trouve en tête-à-tête avec l’oncle de la Reine de Grande Bretagne, Lord Mountbatten ? Peu de personnes sont capables de présenter un tel palmarès. C’est aux alentours de 1985, à l’occasion d’une réunion d’anciens élèves, vraisemblablement à Paris, que nous nous sommes retrouvés, chacun étant allé de son côté, entraîné par les circonstances de la vie. Après près de cinquante années de séparation, grande fut notre joie de nous retrouver, constatant l’un et 1’autre, qu’en dépit de tout, nous avions gardé intact le patrimoine moral et religieux que nous avions reçu à Saint-Stanislas et que nous étions très proches l’un de 1’autre, ayant beaucoup de goûts communs.  Avec Roger LANDRY, on est en présence d’une personnalité comme il en existe peu, mais dont la presse n’a jamais parlé, ayant horreur de la publicité et du tapage médiatique. A travers tous les problèmes qu’il eut à résoudre, il n’avait absolument rien perdu ou abandonné des principes chrétiens qu’il avait reçus au collège, continuant à pratiquer sa religion sans ostentation, ni sans réticence, mais toujours, comme tout ce qu’il a fait, dans la discrétion. Son attachement à Saint-Stanislas était si profond qu’il avait collectionné la photo de tous les professeurs (y compris celle des religieuses des classes enfantines). Et l’abandon des immeubles de la Rue Jean Jaurès et de la Rue de l’Ancienne Comédie lui causa une véritable douleur La retraite l’avait fixé en banlieue parisienne. Cela lui permit de réunir, régulièrement pendant un certain temps, les anciens élèves habitant Paris et les environs, ainsi que les poitevins qui voulaient - 12 - Quelques mois avant sa mort, en juillet 2008. HierADemainNumero131.qxd 4/02/10 21:20 Page 12 venir. C’est là que nous nous sommes retrouvés... Mais il était fidèle également à son Poitou natal y revenant chaque été. Et c’est au cimetière de Lusignan que repose sa dépouille mortelle depuis le 13 février 2009. Si ses camarades de classe ne sont plus, compte tenu de leur âge, que quelques unités à pouvoir encore admirer une telle personnalité, il eut été impardonnable, pour les générations plus récentes et pour celles à venir, que le souvenir ne soit pas gardé d’une figure aussi exemplaire que celle de Roger LANDRY.
Marcel GUILLOTEAU  Et c’est toujours avec le même plaisir que Roger Landry et Marcel Guilloteau se retrouvaient régulièrement dans leur Poitou natal. Ici en août 2007. |