vous a apporté.
les « anciens de St Jo ». Forcé de pressurer mes
maintenant 40 ans.
Pâques. Padre Pio, à la surprise de tous, cette année-là, avait donné luimême
plus depuis longtemps, en raison de son état de santé. Mon père spirituel,
sous les pas du saint homme.
Quoique séminariste et donc quelque peu « privilégié » pour accéder
au Padre, je dus faire comme tout le monde, obtenir un billet du
Padre Giacomo, où était imprimé un numéro d’ordre de passage. Mon
numéro devait friser les 200 et quelques, un rapide calcul me donnait la
scientifique certitude que j’en avais au moins pour 4 jours d’attente
patiente et priante, 4 ou 5 nuits d’hôtel aussi… Commencèrent donc ces
4 (ou plutôt 5) jours d’attente interminable. Chaque matin, l’arrivée du
Padre, à son corps défendant déplaçait sur le passage de son fauteuil
d’infirme des foules ferventes. Certaines pieuses âmes, armées de
petits ciseaux, s’approchaient subrepticement, échappant à la vigilance
des religieux qui l’entouraient, tel un rempart aux nombreuses brèches
par lesquelles ces combattants s’infiltraient et récupéraient des petits
morceaux du tissu de sa pauvre bure vite transformée en gruyère, malgré
les coups de cordon que distribuait généreusement Padre Pio pour
modérer ces activités « déchirantes ».
Il ne nous restait dès lors qu’à rentrer dans l’église (pendant ce temps,
de son côté Padre Pio, arrivé à la sacristie, revêtait ses ornements) et à
grimper à l’étage d’où nous autres, petits privilégiés, nous avions une
vue plongeante sur l’autel, et donc sur celui qui allait y célébrer.
Alors la Messe commençait. Mais au fait, quelle heure était-il ?
4h30 environ, mes amis ! Ces quelques Messes d’un vieil homme épuisé,
assis devant l’autel parce que ses pieds transpercés ne le soutenaient
pas, ces Messes dites (c’était le seul moment) sans les mitaines
qui cachaient habituellement les mains mystérieusement blessées, c’était
quelque chose de prodigieux. Padre Pio célébrait, il était là, mais il
était manifestement ailleurs, il priait, voyez-vous, il priait, il était abîmé
dans une Présence, celle du Seigneur du Ciel et de la Terre, je ne crois
pas qu’il voyait la foule des fidèles qui le fixaient intensément ; pour un
instant on comprenait mieux les vieux enseignements qu’ânonnaient
nos catéchismes, il était en voyage au Calvaire, voilà. On n’en ressortait
pas plus saints, mais au moins décidés à envisager nos vies dans une
autre lumière, celle, invisible, qui émanait du Padre et qui vous touchait
au plus intime.
Dans cet état d’esprit, c’était quelque chose de faire notre « examen
de conscience » ! On le savait, Padre Pio voyait l’état de l’âme de
son pénitent. Impossible de « cacher » à l’homme de Dieu, tout comme
à Dieu qui sait toute chose. On nous avait dit que le Padre ne comprenait
que l’italien, et qu’il était assez sourd… Bizarrement, au loin dans
le couloir où nous attendions notre tour, on entendait le Padre qui passait
à l’un une semonce dont il se souviendrait toute sa vie. D’autres
confessions se passaient dans un murmure à peine audible. Arrivé enfin
à ses pieds après 5 jours, il écouta ce que j’avais à lui dire dans mon italien
laborieux (mais j’avais préparé cela, 5 jours, vous savez !) mêlé de
latin. Il me demanda à un moment avec un regard transperçant « l’hai
gia detto ? » « tu l’as déjà dit ? ». « Si, Padre », alors il fit un geste de la
main balayant l’espace qui disait clairement « alors n’y reviens pas ! ».
Puis l’absolution, et la bénédiction d’un chapelet. Voilà, c’était fini.
Depuis, je n’ai jamais pu célébrer un baptême sans me sentir bouleversé
jusqu’au tréfonds, le sacrement de Réconciliation a gardé en moi une
formidable importance pour les fidèles et pour moi, la Messe n’a jamais
été un moment d’ennui à passer le plus agréablement possible, mais…
je vais vous dire une drôle de chose, c’est pour moi chaque jour une
« opération de chirurgie cosmique », un moment irremplaçable où le
Ciel est en contact vivant avec la Terre, avec les âmes abandonnées,
avec les pauvres lointains ou prochains, avec les âmes qui ont abandonné
cette Réalité. Cette Réalité qui lance son Appel au coeur de chacun
pour l’ouvrir à la Vérité. Mon cher Padre Pio, prie pour nous de là
haut, où tu goûtes la récompense de tes douleurs acceptées avec tant
de patience.
